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Livre premier
Chapitre VII

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 Article publié le 6 mars 2006.

oOo

Tout ça ne disait pas où était passée la puce que Bégnard avait piquée au cadavre de Jasmin ni ce que Hautetour avait rapporté à ce sujet à la hiérarchie, s’il avait rapporté quelque chose. Frank imaginait sans douleur que Hautetour était capable de jouer un tour à la hiérarchie comme il en jouait quotidiennement aux pauvres types qui tombaient entre ses mains après avoir tâté des méthodes d’investigation de ses subalternes, dont Frank qui n’était pas le moins zélé. Au fond, l’enjeu n’avait pas changé depuis la nuit des temps : il s’agit toujours d’en avoir plus que les autres et d’en avoir tellement que les autres ne sont même plus des autres mais des choses vivantes bonnes à produire et reproduire. On peut appeler ce vortex Histoire ou Politique ou Amour ou Dieu, ça ne change rien au fait que certains sont et que d’autres ne sont pas vraiment ce qu’ils devraient être. Frank se sentait frustré de la meilleure part de lui-même. Le rêve, au début, pouvait passer pour une compensation, d’autant que les loisirs les continuaient quelquefois jusqu’à l’extase, mais finalement il avait été fasciné par les hallucinations des autres et il avait cédé à ce qui maintenant lui paraissait presque nettement comme un abandon, comme une espèce de religion du soi qui s’en prend à une partie de l’humanité pour régler ses comptes avec ses propres conflits. La chimie des substances était devenue son bréviaire et le monde faisait office de temple de ses voyages à côté de ses pompes. Ce qui, clairement, l’empêchait par exemple de chercher à comprendre ce qui venait de lui arriver. Il n’en était pas fier, mais son cerveau était rarement atteint par ce genre de considération.

Il alla voir la veuve Bégnard. Il agissait sans méthode depuis quelque temps, sans stratégie de la conversation. Il avait renoncé à tirer des fils qui ne ramenaient que les détritus de sa pensée alors que son esprit continuait de rêver à des prises sur le réel d’une ampleur et d’une vérité impossible à mesurer à une pareille distance de soi au monde. Il prit sur lui de visiter la veuve d’un agent dont il avait désiré la mort. Ce désir avait pris, depuis quelques jours, une importance destructrice. Il frappa à une porte qui donnait sur la rue, au bas d’un petit immeuble de rapport assez coquet à en juger par la vigne vierge et les persiennes laquées.

- Je vous croyais mort, dit-elle dans l’interphone.

Et elle actionna l’ouverture de la porte. Il grimpa deux étages obscurs qui sentaient l’encaustique et la lavande. Elle avait entrouvert la porte, l’autorisant à la pousser et à s’introduire sans façon. Il s’annonça par un couinement, fit pivoter une porte grinçante qui réveilla en lui une chimie en sommeil, et il la vit, assise près de la fenêtre, parfaitement en phase avec son rôle de veuve éplorée.

- Personne n’est venu, dit-elle. Personne.

Elle essuya une larme sur l’aile de son petit nez. Comment avait-elle appris sa mort ? Avait-il posé cette question absurde ? Elle ne pouvait pas être au courant. Le programme de Récupération post-mortem était hautement secret. Il avait dû halluciner. Elle le toisa cependant, comme si elle n’avait jamais vu un mort retapé par miracle scientifique. Il s’inclina, les pieds dans un tapis dont l’ornementation menaçait déjà ses raisonnements.

- Je viens pour...

Elle l’interrompit en l’invitant à prendre place dans le divan. Heureusement, car il n’avait aucune idée de l’excuse qui pourrait la convaincre qu’il n’avait pas de mauvaises intentions. Il se sentit tout de suite à l’aise et accepta un petit verre de substance verte au goût de menthe. Elle l’autorisa enfin à plonger des doigts avides dans un coffret contenant des spécialités culinaires dont elle avait le secret.

- Vous êtes gentil de me rendre visite, dit-elle dans un râle qui le traversa. Je n’ai vu aucun de ses collègues depuis que...

- Je ne savais pas qu’il était mort, dit-il en croquant une chimie nouvelle pour lui.

Elle s’étonna, mais sans ouvrir la bouche pour laisser penser qu’elle ne trouvait pas ses mots pour s’en étonner. Tout le monde savait que Lucas était mort avant même qu’on l’assassine. Il n’avait pas que de bonnes fréquentations. Il ouvrit la bouche à sa place.

- La maison est sous surveillance, gloussa-t-elle, comme si j’étais moi-même une criminelle.

Il s’empressa de spécifier que Lucas Bégnard était un homme parfaitement honorable et un collègue de confiance. Il crevait du désir de lui dire tout ce qu’il pensait de cette crapule qui l’avait suivi jour et nuit sans se soucier une seconde du mal qu’il avait causé à un esprit peu adapté à ce genre d’existence. Il n’était pas venu pour se venger.

- Je doute qu’un policier soit totalement honnête, dit-elle en se servant elle aussi dans le coffret à friandises. Je ne dis pas ça pour vous.

Pour qui alors ? Il se sentait parfaitement honnête et continuerait de se sentir honnête même s’il avait descendu Bégnard. Que savait-elle ? Que ne pouvait-elle pas inclure dans une conversation que des sbires de Hautetour étaient en train d’enregistrer scrupuleusement ?

- Lucas avait sa vie, bien sûr.

C’était évident. Il en est de même pour tous les couples qui se forment tous les jours pour reproduire les mêmes conneries sans avoir l’impression de faire du mal. Il n’arriverait pas à trouver le moyen de savoir ce qu’elle savait des activités secrètes de son défunt époux. Elle ne pouvait pas être ignorante à ce point. Elle lui avait arraché quelques petits secrets ou alors ils ne couchaient pas ensemble.

- Vous ne dites pas grand-chose, fit-elle en lui plantant un beau regard plein d’arrière-pensées dans ses yeux qu’il sentait un peu glauques depuis qu’elle savait comment il voyageait.

Il se dandina sans trouver le mot fatal.

- Votre... patron ?

- Monsieur le Baron de Hautetour est notre chef de service.

C’était facile à dire. Il la remercia presque.

- Ce... baron m’a invité aux jouets de Noël, mais nous n’avons pas eu d’enfant.

- Pas un ? fit-il grotesquement.

Elle lui sourit. Après les yeux et ce désir intense et obscène de savoir à qui elle avait à faire, elle usait maintenant de la bouche qu’elle savait proche des mots qu’il ne trouvait pas.

- Il m’a parlé de la pension et des perspectives d’une nouvelle vie. Exactement ce qu’on dit à une étrangère.

Elle ne l’était donc pas pour lui. Il ne raisonnait plus.

- Vous aimez ?

Il s’empourpra violemment. Elle éleva une hostie contenant une dose dangereuse d’amphétamines. Il aimait.

- Sans Lucas, soupira-t-elle, ce sera moins facile.

De s’approvisionner.

- Ce...baron... croit que c’est facile de refaire ce qui n’a pas été vraiment construit.

Ils ne s’aimaient pas. Bégnard était incapable d’amour. Elle...

- Vous êtes vraiment chou d’avoir pensé à moi.

Chou. La lumière irisait sa chevelure rouge. La pension lui permettrait-elle de payer le loyer ? Pourquoi ne brisait-elle pas tous ces miroirs qu’il avait offensés ? Elle ne savait rien. Elle n’évoquait même pas un sentiment d’injustice qu’il aurait trouvé légitime et il le lui aurait dit avec une abondance de considérations littéraires qui auraient enfin ouvert la voie aux spéculations qui expliquaient sa présence inexplicable autrement auprès de cette femme qui le gavait de substances dangereuses. Dans quelle intention ?

- Pourquoi ont-ils voulu me faire croire que vous étiez mort ? demanda-t-elle sans le regarder.

Parce que je ne le sais pas, pensa-t-il. S’il l’avait su, il ne serait pas en train de chercher le moyen de percer un mystère qui ne le concernait que parce que c’était un mystère. Quel rapport entretenait-il avec les énigmes de son temps ? Elle venait de lui poser une question de ce genre, en termes plus familiers cependant. Il lutta un instant contre l’âpreté d’une pâte d’amandes qui contenait des zestes d’orange amère.

- Si vous n’aimez pas...

Il n’avait jamais craché dans les mains d’une femme, sauf celles de sa mère quand le vieux l’avait contraint d’avaler un morceau de viande rouge. Il n’avait jamais pu empêcher son esprit de déranger continuellement son cerveau avec ces réminiscences qui mentaient peut-être à son intelligence. Qui sait ?

- Je viens pour le programme, dit-il enfin en toussotant légèrement pour se donner une contenance de messager.

Il ne connaissait pas de messager sans cette contenance. La toux, pourvu qu’elle fût légère et même discrète, aidait à la manoeuvre. Le programme consistait à aider les veuves et les orphelins à retrouver le sourire sans passer par un traitement chimique toujours un peu risqué.

- Risqué ? Qu’est-ce que je risque ?

- Vous ne risquez rien, bafouilla-t-il, n’arrivant plus à toussoter. Le programme prévoit...

- Je veux rester chez moi !

Elle se leva et se colla à la fenêtre jaune. Si elle acceptait ce séjour dans un établissement de repos total et garanti, aux frais de la princesse, il disposerait de l’appartement pour continuer ses recherches de petit chien haletant au moindre signal d’indice. Elle le précéda :

- Et eux ? fit-elle à voix basse.

Il eut l’impression de les entendre respirer. Bégnard avait laissé des traces. Il les trouverait avant Hautetour. Elle s’approcha, baignée de lumière.

- Dites-leur que je vais y réfléchir, murmura-t-elle.

Qu’allaient-ils penser de cette conversation ? Il tenta une reconstitution approximative. Il rechercherait plus tard les défauts de mémoire :

 

ELLE - Je vous croyais mort.[...] Personne n’est venu. Personne.

- Je viens pour...

ELLE - Vous êtes gentil de me rendre visite. Je n’ai vu aucun de ses collègues depuis que...

- Je ne savais pas qu’il était mort.

ELLE - La maison est sous surveillance, comme si j’étais moi-même une criminelle. [...] Je doute qu’un policier soit totalement honnête. Je ne dis pas ça pour vous. [...] Lucas avait sa vie, bien sûr. [...] Vous ne dites pas grand-chose. [...] Votre... patron ?

- Monsieur le Baron de Hautetour est notre chef de service.

ELLE - Ce... baron m’a invité aux jouets de Noël, mais nous n’avons pas eu d’enfant.

- Pas un ?

ELLE - Il m’a parlé de la pension et des perspectives d’une nouvelle vie. Exactement ce qu’on dit à une étrangère. [...] Vous aimez ? [...] Sans Lucas, ce sera moins facile. [...] Ce... baron... croit que c’est facile de refaire ce qui n’a pas été vraiment construit. [...] Vous êtes vraiment chou d’avoir pensé à moi. [...] Pourquoi ont-ils voulu me faire croire que vous étiez mort ? [...] Si vous n’aimez pas...

- Je viens pour le programme.

ELLE - Risqué ? Qu’est-ce que je risque ?

- Vous ne risquez rien. Le programme prévoit...

ELLE - Je veux rester chez moi ![...] Et eux ? [...] Dites-leur que je vais y réfléchir.

 

Il manquait les bruits. Ce n’était pas crédible sans les bruits. Il essaya de se souvenir. Ses pas dans l’escalier. Le grincement de la porte. Les froissements de sa robe. Les doigts dans le coffret à friandises. Avait-elle allumé une cigarette ? Il avait toussoté avant de raconter une bêtise qu’il aurait du mal à justifier. Il imaginait la scène :

 

- De quel programme parliez-vous ? On ne vous a confié aucune mission de ce genre. D’ailleurs, ce ne serait pas une mission, mais une com... mission.

- Il fallait que je trouve quelque chose...

- Dans quelle intention ? Dites donc, Frank ? Comment expliquez-vous une visite qu’on ne vous a pas commandée et un programme auquel vous n’avez pas accès ? Que vous ayez envie de présenter vos condoléances à une jolie veuve, c’est à la rigueur acceptable. Mais que vous cherchiez ostensiblement à l’éloigner de son appartement qui était celui où vivait Bégnard, vous expliquez ça comment ?

- Je ne cherchais pas à l’éloigner ! Je...

- Vous saviez que vous étiez enregistré. Il vous suffisait de la draguer. Jusque-là, c’était marrant. Pas vrai les gars ? Mais vous avez cherché à l’éloigner de son appartement pour pouvoir y fourrer le nez. Qu’est-ce que vous cherchez ? La vengeance ? Elle est trop bien pour vous !

- Je ne vous permets pas de...

- Ne changez pas de conversation ! Vous ne sortirez pas d’ici avant d’avoir expliqué le recours à ce programme d’éloignement dans une conversation qui promettait de tourner à l’idylle. Vous faites ce que vous voulez avec les veuves des agents tués en service, mais vous DEVEZ expliquer cette tentative de fouiller un endroit où cet agent a vécu et a sans doute laissé des traces qu’il nous revient d’effacer avec toute la discrétion qu’on peut attendre de nous.

 

En quoi ils auraient parfaitement raison. Il s’avouait vaincu d’avance. S’ils se mettaient à lutter contre lui, il abandonnerait la partie avant de sombrer dans le ridicule. Car Hautetour conclurait au ridicule, il n’y avait pas d’autre solution à ce problème épineux qui reposait encore la question de sa santé mentale à un moment où il avait terriblement besoin de s’affirmer professionnellement.

- Dans mon bureau !

Voix de Kol Panglas qui sait exactement ce qu’il va faire. Frank bifurqua et s’enfonça dans le décor champêtre du magistrat.

- Si c’est parce que j’ai flirté avec la veuve...

Kol Panglas scinda un épais dossier du tranchant de la main.

- C’est avec les veuves qu’il faut flirter, dit-il presque négligemment. Elles ont quelque chose à regretter et se demandent si ça vaut la peine de le regretter. Moment qu’il faut mettre à profit pour faire le tour d’un propriétaire qui peut améliorer l’existence. À voir.

Il récitait une leçon apprise sur le fil d’une existence riche en expériences civiles.

- Vous avez été enregistré, continua-t-il comme si la leçon se poursuivait.

Il n’y avait pas grand-chose sur la bande, il le reconnaissait.

- Passons sur les intentions, grogna-t-il parce qu’un potentiomètre s’en prenait à ses oreilles fragiles.

Il jeta un regard amusé sur le stagiaire définitif. Frank ne doutait plus que son avancement venait de s’arrêter à ce stade d’une évolution qui n’avait d’ailleurs jamais rien promis de folichon question avoir et rien d’extatique question être.

- Vous ne savez pas y faire, Frank. Comment vous sentez-vous ?

Il avait du mal à se faire à l’idée qu’une substance verte avait remplacé ses cavités.

- Je vous comprends, dit Kol Panglas. Hautetour enquête. Nous n’avons pas pu sauver Jasmin, ni Romarin et Bégnard est encore sur le billard.

Elle n’était donc pas veuve. Si Bégnard s’en sortait, il était bon pour les colonies, jusqu’à ce que mort s’en suivît. Frank frissonna.

- Hautetour mettra fin à cette hécatombe, dit Kol Panglas. Ce qu’on ne comprend pas...

Ils ne s’intéressaient absolument pas à sa tentative de disposer de l’appartement de Bégnard pour les besoins d’une enquête dont il n’était d’ailleurs pas chargé. Le frissonnement se transforma en tremblement. Kol Panglas l’observait. Il ne comprenait pas...

- ... que vous figuriez parmi les victimes. Rien ne vous destinait...

Ils connaissaient le profil de l’assassin et les données de l’organisation criminelle qui l’employait à son insu.

- Je ne figure pas vraiment, dit Frank. Je me trouvais là par hasard...

- Ce n’est pas Jasmin que vous avez descendu.

La nouvelle était terrifiante. Mais pourquoi ? se demanda-t-il aussitôt. Il avait descendu un inconnu. Un marle. Rien de plus. Et Bégnard l’avait fouillé à fond. Hautetour avait récupéré la puce...

- Ils ne vous auraient pas descendu si vous ne vous trouviez pas à ce moment en compagnie d’Anaïs K.

Kol Panglas referma le dossier sur son épaisse main.

- Vous savez ce qu’on pense de l’inceste, dit-il comme s’il allait maintenant se plonger dans un recueil de jurisprudences choisies.

Frank ne le savait pas. Il s’en doutait.

- Mais ça ne nous regarde plus, dit Kol Panglas dont la main se retira du dossier comme une proie de son prédateur. Maintenant que vous êtes mort...

Il s’interrompit pour mesurer l’effet de cette proposition sur l’esprit du jeune flic. On n’a pas idée de mourir si jeune. Ils avaient prévu de le laisser mourir vingt ans plus tard sur le quai d’une gare en Andalousie. En tout cas, ils s’arrangeraient pour qu’il doutât toute sa vie d’être vraiment mort. Il n’en trouverait jamais la preuve, sauf s’il ne finissait pas par disparaître dans la poussière du temps. Mais de quel temps s’agissait-il ?

- Comment va Anaïs ? demanda-t-il en baissant la tête.

- Je peux vous faire écouter la première bande, proposa Kol Panglas. Je pense qu’Alice est disponible ce matin. Un des stagiaires s’est blessé sur la balançoire.

- Un exercice difficile, se rappela Frank qui en conservait un souvenir terrifié.

Kol Panglas appela Qand par l’interphone. Une secrétaire l’informa qu’elle transmettait. Le magistrat croisa ses bras de courtaud et considéra la surface de son bureau comme s’il n’avait pas l’intention d’entrer dans la conversation crispée de Frank. Celui-ci s’accrochait aux bras de son fauteuil, transporté par une nouvelle vague de transfert moléculaire. Kol Panglas secoua la tête sans la relever toutefois. Il en avait vu d’autres. Une statuette de bronze entra dans son champ de vision et parut le fasciner tandis que Frank perdait le compte des secondes à venir. Qand fit irruption et se prit les pieds dans le tapis. Il haïssait ces vieilleries qui enchantaient le juge et Frank ne savait toujours pas ce qu’il fallait en penser. Hautetour l’avait prévenu : s’il souhaitait poursuivre cette carrière, il devait se faire une idée sur tout afin de n’être jamais pris au dépourvu par un collègue trop enclin à la délation si c’était dans son intérêt. Mais Frank éprouvait d’incroyables difficultés à reconstruire les relations entre les objets et les êtres sans se mettre aussitôt à se raconter des histoires. Et son esprit ne parvenait pas à les raconter aux autres. Il compulsait des ouvrages sur la télépathie, en vain. Qand lui parlait.

- Je vous préviens que ça ne va pas être facile, disait-il. Vous savez à quel âge elle vous a abandonné ?

- Elle ne m’a pas abandonné...

- Vous n’allez pas commencer !

- Frank ! dit la voix sirupeuse de Kol Panglas. Il faut accepter...

- J’accepte ! s’écria Frank en se mettant sur pied.

Il voulait paraître heureux, comme n’importe quel type qui va tout savoir de celle qui lui a donné le jour et qui l’a abandonné sans explications au sort de deux inconnus dont le malheur continuait de le frapper ALORS QU’ILS ÉTAIENT MORTS TOUS LES DEUX.

- Nous ne savons pas si votre père est mort... je veux dire : si celui qui... dont le nom...

Logiquement, il ne pouvait qu’être mort. Concevait-on qu’il fût vivant dans ces circonstances ? Qu’en pensait Anaïs ?

- Sans doute la même chose que vous, fit Qand qui se laissait gagner par une douce lassitude. On y va ?

- Si vous êtes prêt, Frank... glissa Kol Panglas.

Il ne l’était pas vraiment. Le service se montrait diligent avec lui. Frank mesurait l’effort auquel Hautetour contraignait tout le service pour sauver son protégé de la misère mentale et des souffrances de la solitude qui s’ensuit invariablement. La porte de Kol Panglas se referma doucement et Qand prit les devants d’un voyage qui allait durer, Frank n’en doutait plus, une éternité. Seulement, c’était encore difficile et même pénible de se faire à l’idée qu’il ne possédait plus la possibilité d’en finir. Il n’avait pas posé la question, mais il savait qu’une réponse adaptée à la personnalisé du récupéré figurait dans le grand livre des morts écrit en haut lieu. Un Haut Lieu auquel il n’aurait jamais accès, pas plus mort que vivant. Un pyramidion inaccessible indépendamment du statut existentiel, voilà ce qui était écrit en premier dans le grand livre.

- On arrive, dit Qand qui marchait à grandes enjambées.

Ou on n’arrivait pas. Frank se laissa conduire dans la salle des écoutes. On avait fini de s’amuser de sa visite à la veuve. Une dizaine de dos courbés faisait face à autant d’écrans de contrôle.

- On va vous appareiller, dit Qand qui disparut dans l’ombre.

Frank tenta de pénétrer dans cette ombre, mais le regard n’y rencontrait que des possibilités.

- Si je vous fais mal, dit l’opératrice qui allait l’accompagner, n’hésitez pas à me le dire.

- Mais surtout ne criez pas, plaisanta Frank en imitant sa voix.

L’amusait-il ? Il désirait cet amusement, en compensation de la joie qui semblait vendue à d’autres fins obscures. Elle coulissait dans un appareillage en parlant de tortures. Voilà comment elle répondait intelligemment à ses prétentions au bonheur. Elle le harcelait déjà.

- Mais si ça devient insupportable, n’hésitez pas à...

Non. Il avait promis de ne pas crier. Elle savait que c’était impossible de tenir une pareille promesse. Elle sourit contre lui, impassible et rapide à la fois. Quel était le sens de cet accompagnement ? Pourquoi ne pas simplement l’autoriser à dialoguer avec Anaïs K.? Il se rappelait qu’elle lui avait promis de s’expliquer s’il consentait à ne jamais l’interrompre. Il n’aurait pas dû lui répondre alors qu’il ne se sentait pas en mesure de promettre un pareil silence. Elle leur en avait parlé et ils avaient décidé d’agir en conséquence.

Il dut d’abord supporter la lente transformation du visage d’Anaïs K. depuis la face pouponne du premier jour à son apparence faussement juvénile des derniers temps. Cherchaient-ils à lui faire mesurer la ressemblance physique ? Il n’en trouva pas. Il était armé d’une froide patience ce matin, si on était le matin. Il avait le sentiment d’avoir perdu du temps, chose qu’il n’aurait pas avouée par exemple à Kol Panglas qui aurait ri d’une pareille ineptie. Le visage d’Anaïs K. finit par se fondre au noir et l’écran demeura éteint pendant une autre éternité. Il demanda si tout se passait bien.

- C’est à vous qu’il faut le demander, dit l’opératrice.

- Ça va, fit-il. Je m’habitue.

- Il s’habitue, souffla l’opératrice.

Oui, il s’habituait. Elle pouvait les en informer. Il s’était toujours habitué à l’attente. Son enfance était remplie d’attentes auxquelles il s’était habitué. Il n’avait jamais perdu patience et cela rendait fou le vieux qui se faisait passer consciemment pour son père.

 - Consciemment ?

- Elle me paraissait moins consciente du fait, peut-être parce que je l’aimais. Malgré tout...

- Malgré tout ?

- Oh ! Elle ne m’a jamais fait souffrir. Au contraire. Elle m’enseignait les petits plaisirs, disait-elle, en attendant les grands.

- Encore une attente.

- Oui. Les grands. Je ne les imaginais pas et elle n’en savait rien bien sûr. C’est toujours comme ça que ça se passe, non ?

- Que voulez-vous dire ?

- Une femme ne peut pas savoir...

- Vous allez dire des bêtises !

- Je ne sais pas. Elle non plus. Nous ne savions pas. Et lui nous empoisonnait la vie.

- Il ne vous aimait pas. Vous êtes sûr qu’elle vous aimait ?

- Je ne l’ai pas dit ! J’ai dit que JE l’aimais. Personne ne m’aimait, bien sûr.

- Vous avez raison.

- Vous voyez ? Je l’ai toujours su. Il y avait ceux qui m’acceptaient et ceux qui me rejetaient impitoyablement. Mais pas d’amour. C’est dur, vous savez ?

- Non, je ne sais pas. Ça vous ennuie que je ne le sache pas ?

- Non. J’aime vos questions. Elles m’ont manqué pendant si longtemps ! Si on me les avait posées...

- C’était possible. Je ne suis pas la seule à poser ce genre de questions.

- Je n’ai pas eu de chance.

- Vous en auriez si vous consentiez à ne plus vous...

- On m’a bien précisé que cette pratique n’était pas incompatible avec l’exercice de cette profession !

- Je n’ai pas dit le contraire. Mais vous pouvez facilement comprendre qu’une vie saine...

- Nous y voilà ! La santé ! On me l’a promise et je l’attends encore. Ce n’est tout de même pas ma faute si...

- Souhaitez-vous changer ? Au moins un peu ?

- Diminuer la dose ? La dose est un principe croissant, vous devriez le savoir.

- Je le sais... parce qu’on me l’a appris.

- Vous n’avez jamais touché à...

- Jamais. Et vous ?

- Vous plaisantez ! Et moi ! Et eux ! Vous et moi ! Je ne sais pas qui je suis. Elle me le dira peut-être. Croyez-vous qu’elle consentira à me délivrer de ma prison d’enfant ?

- Quel mot horrible ! C’est une prison ou un enfant, pas les deux en même temps.

- Vous êtes naïve. Vous voulez que je vous croie naïve. Si je vous voyais...

- Vous seriez peut-être déçu. N’avez-vous pas été déçu par le corps d’Anaïs K.?

- Si j’avais su que c’était ma mère, je me serais bien garder de le... N’en parlons pas !

- Si, au contraire ! Parlons de ce qui vous dérange.

- Tout me dérange. On appelle cela l’ennui ou la mélancolie, je ne sais plus. Je n’ai pas le sentiment d’une absurdité. Trop intellectuelle, l’absurdité, n’est-ce pas ? Autant que la banalité. On ne se nourrit pas de substance abstraite.

- Qu’est-ce qui vous ennuie alors ? En général, les gens trouvent que c’est absurde ou banal et ça les ennuie ou ça les rend mélancoliques.

- Et bien moi, je trouve que c’est compliqué et ça m’angoisse.

- Pas bête.

- Ce n’est pas une question d’intelligence ! Je SUIS une bête.

- Vous exagérez. Il y a peut-être de la bête chez l’homme...

- Et chez la femme.

- Mais la bête n’explique pas tout. Il se peut même qu’elle n’explique rien.

- J’affirme que je suis une bête qui a peur de la réalité.

- Ce n’est tout de même pas la faute de vos parents adoptifs !

- C’est la faute de celle qui m’a abandonné sans me demander si ça me compliquait la vie !

- Et vous ne vous demandez pas si elle a souffert elle-même d’être abandonnée ?

- Non. Je me demande POURQUOI il l’a abandonnée.

- Vous êtes cruel, Frank. Je ne vous savais pas si...

- Vous ne me connaissez pas. Si vous me connaissiez, vous sauriez déjà ce que je pense...

- Ce que vous pensez est peut-être une imposture. Vous ne pensez pas, vous êtes !

- Ou je ne suis plus.

- Vous me faites mal, Frank.

- Je le regrette. Vous devriez changer de profession. J’ai eu mal moi aussi au début, et j’ai songé à devenir un bon à rien. Ce n’est pas si facile que ça quand c’est un choix délibéré.

- Vous n’avez pas choisi. C’était plus simple. Je vous reconnais.

- Je vous l’accorde. C’est plus simple que de me connaître. Vous ne m’avez jamais connu et vous me reconnaissez. Un peu comme une propriété ?

- Il y a du vrai dans ce que vous dites. Je me sentais propriétaire et j’ai été dépossédée. Par qui ? Vous ne le saurez jamais.

- S’il n’y avait que vous, ce serait simple. Mais ça ne l’est pas !

- Oui. Moi, moi et moi ! Je possédais, il m’a possédée et vous existez. La belle histoire ! Il aurait suffi que le bonheur montre le bout de son nez. Vous avez remarqué comme les couples tiennent bon si le bonheur fait des promesses et qu’on y croit ? Vous avez assez d’expérience... humaine... pour... posséder ce bien inestimable qu’est l’expérience des autres quand ils sont innombrablement différents.

- C’est cette multitude qui m’écrasait moi aussi. À la différence que personne ne m’aimait.

- Mais personne ne m’aimait non plus !

- Je vous aimais, moi ! Et vous ne le saviez pas ? Vous ne l’auriez pas cru, à distance ? N’avez-vous jamais conçu un pareil projet qui m’eût... recommencé ?

- Je souffrais moi aussi ! Et j’étais seule. Vous n’étiez pas seul. Mal aimé, peut-être, mais pas seul. Vous ne savez pas ce que c’est, la solitude. Vous ne connaissez que l’isolement, antichambre de l’enfermement. L’argent...

- Nous y voilà ! L’argent. Vous allez mettre de l’argent dans la conversation. On finira par parler politique !

- Je leur envoyais de l’argent gagné en faisant la pute !

- Et je ne savais pas ce que c’était, une pute !

- Ils vous l’auraient bien enseigné, ces...

- Ne l’insultez pas, elle. Elle a vraiment souhaité vous remplacer. Mais c’était au-dessus de ces forces. Je me souviens de ses efforts...

- J’aimerais tellement que vous vous souveniez des miens, ou qu’à défaut vous sachiez en mesurer la sincérité...

- Il faut s’être perdu pour se retrouver. Vous m’avez abandonné et je n’ai jamais pu vous imaginer.

- Je t’imaginais, moi. Tu me crois ?

- Je n’ai jamais cru personne. Maintenant, je crois mon chef de service, bien que je le soupçonne d’avoir cherché à m’utiliser dans une affaire dont les tenants me sont étrangers.

- J’étais si seule et si folle ! Et ces temps étaient si différents ! On ne croyait plus au bonheur après avoir espéré la tranquillité. Et puis d’un coup la dèche... la merde... la mouise... le caca... le raz de marée... la dérive... oh putain !... putain... putain... bon... commençons par n’importe quel bout... pourquoi pas par le commencement - non, pas le commencement - on commencera plus tard - j’ai pas envie de commencer - faut que ça finisse - c’est trop con, c’est tellement con de finir comme ça - j’suis pas si conne ! - je vais me brûler la cervelle - non, pas la cervelle, les boyaux - putain !...

Prenons n’importe quel bout...

- ENLEVEZ VOS MAINS DE VOS POCHES !

Le président du tribunal d’instance-police qui ne me regarde même pas en me disant cela a l’air d’un petit oiseau avec un papillon plein de couleurs sous le menton et des ongles rongés par des dents incontrôlables - il peut pas les contrôler ses dents - il ne me regarde même pas et il me demande d’enlever les mains de mes poches - je pense : connard mais au lieu de dire ce que je pense, je suis tout épatée de m’entendre lui répondre :

- Y A UNE LOI QUI M’EMPÊCHE DE METTRE MES MAINS DANS LES POCHES ?

Y en a pas, je le sais.

Le petit homme tout rabougri qui est à côté du président sursaute - il mâchouillait les manchettes de sa chemise violette et du coup il est resté la bouche ouverte - il avait envie de dire : y a une loi qui l’empêche de mettre les mains dans ses poches, à cette grougnasse ? Merde, je n’en sais rien - j’suis trop con pour le savoir - j’ai pas assez étudié - j’étais encore plus mauvais élève que le con qui préside à côté de moi - mais il ne dit rien de tout ça - il dit :

- ON VOUS A DIT D’ENLEVER LES MAINS DE VOS POCHES !

- QUI ÇA, ON ?

C’est moi qui ai dit ça - oui - j’ai pas voulu le dire c’est même pas ce que j’ai voulu dire - c’est complètement différent de ce que j’aurais dû dire pour éviter les problèmes - mais la petite bête que j’ai à la place du cerveau n’est pas d’accord avec moi - merde : je l’ai appelé on, à ce petit oiseau à sa maman, à cet éleveur de papillons sous le menton - est-ce qu’il fume la pipe - on fume de moins en moins la pipe dans la magistrature - because la profession se féminise - impossible de savoir si elles se cachent pour fumer la pipe - ça leur fait quoi de fumer la pipe dans les chiottes, aux jugesses qui foutent la justice en l’air ?

- LAISSEZ, dit le petit juge sans lever la tête.

- MAIS ENFIN, dit le commissaire qui veut prendre au sérieux son rôle de substitut du procureur.

- C’EST VRAI, QUOI !

C’est encore moi - enfin c’est la bête - comment je pourrais lui expliquer au juge - c’est la bête, là - ben oui, cette chose rouge et flasque qui a pris la place de mon cerveau - vous comprenez ?

- VOULEZ-VOUS BIEN VOUS TAIRE ! hurle soudain le commissaire en montrant une manchette baveuse.

Cette fois, derrière moi, le public - enfin, ils sont pas venus pour jouer au public - ils jouent au public en attendant d’être jugés par ce petit oiseau et regardés de travers par le mâchouilleur de manchettes - cette fois, je dis, le public s’esclaffe - c’est drôle - ça fait un bruit de télé - alors moi aussi je me mets à rire et au lieu de demander au juge de tourner le bouton pour couper le son - merde - je dis :

- LA LOI, C’EST LA LOI.

Le petit juge en forme d’oiseau papilloneur de pipe éteinte lève sa mignonne tronche pour me regarder - comme ça, il fait bébé - bébé sale et crapuleux - bébé qu’on a envie de jeter à la poubelle parce qu’il a la même odeur que son père - c’est l’odeur de ses aisselles putréfiantes qui remonte à travers son déguisement de zorro - et il va dire quoi le p’tit juge :

- SI VOUS VOULEZ... il fait.

Du coup, tout le monde s’écrase - même le commissaire est sidéré - il ouvre la bouche et il y fourre sa manchette délavée - le bouton cliquète sur ses dents - on dirait que le juge a réussi à s’imposer - il n’a pas du tout joué le jeu qu’il avait provoqué dans ma cabouille - bon, c’est pas arrivé tout seul...

 

*

 

Y a pas un quart d’heure que Marcel est sorti, remontant d’une main son burnous jusqu’aux genoux - sous les applaudissements du public qui attend d’être condamné à de petits emmerdements - on n’entendait plus la gueulante du commissaire qui humectait sa cravate, debout à côté du juge qui regardait Marcel bouche ouverte comme s’il regardait Guignol et que c’est sur sa tête que le gendarme éprouvait sa colère à coups de bâton et à grands cris - 

Comme le tribunal de Sainte-Bordure est en travaux - (c’est un ancien château de comte ou de vicomte enfin merde ils vont nous juger dans cette merde médiévale dans laquelle le juge a essayé de se rappeler si ses ancêtres étaient cathares comme semble l’indiquer son nom) - mais en attendant que le juge et la greffière s’accouplent dans cette imbécillité architecturale, ils ont installé la salle du tribunal au premier étage de la mairie et comme on est tout près de Noël, au deuxième étage et juste au-dessus une foule de gosses et un animateur miteux descendu tout exprès des pays de Loire sont en train de faire un boucan formidable, déménageant des montagnes de chaises et de tables pour la préparation de la cérémonie du Sapin - 

Alors avant même que l’huissier ait appelé Marcel à la barre, le juge s’était déjà foutu en rogne après les gosses et ils les avaient insultés à voix basse et on aurait dit que la greffière lui tapait sur l’épaule en lui murmurant dans l’oreille ça va passer, ça va passer, bientôt on aura une nouvelle maison et il n’y aura pas un gosse pour nous faire chier - le commissaire avait d’abord trouvé ça plutôt rigolo et ça avait augmenté la nervosité du juge, ce sourire stupide qui étirait les lèvres du substitut et il avait secoué son index vers l’huissier qui avait dit oui monsieur le président et il était monté là-haut pour engueuler les gosses et tout le temps qu’il était resté là-haut, le boucan avait cessé d’exister - on sentait qu’il s’était imposé et le juge jouait à la marelle avec son stylo entre les feuilles de papier dont je n’allais pas tarder à savoir, quand mon tour viendrait, qu’il les couvrait de petits carrés gribouillés qui se superposaient jusqu’à l’obscénité - 

Et on a écouté le bruit des pas de l’huissier dans l’escalier dans un silence religieux - il allait entrer dans la salle avec un air triomphant et on se remettrait à travailler - le pain de la justice sur la planche improvisée de la salle qui servait d’ordinaire aux cours d’aérobic du club des Aînés - 

Mais le gagnant n’avait rien gagné - il n’a pas ouvert la porte qu’une chaise est tombée de la pile et on sentait bien que quelqu’un avait provoqué sa chute - que c’était un sale gosse qui l’avait fait tomber tandis que ce sacré trou du cul d’animateur venu d’ailleurs se tordait de rire entre les rames du sapin - l’huissier n’osait plus ouvrir la porte qui demeurait entrouverte et on voyait un morceau de son bras et sa main sur la poignée - et le juge a écrasé son stylo entre une feuille à peine déflorée et sa main furieuse - ça a claqué comme l’annonce du jugement dernier et la main de l’huissier s’est mis à suer sur la poignée de porte - on ouvrait les paris - entrera entrera pas - il n’entrait pas et cette connasse de greffière qui n’avait rien d’une chatte s’est permise de conseiller l’huissier :

- CRIEZ PLUS FORT ! dit-elle en redoutant la chute des chaises.

Le juge a haussé les épaules :

- CRIER CRIER, dit-il ÇA NE SERT A RIEN DE CRIER !

Tout le monde avait compris qu’il voulait les frapper - du coup, on oublia l’huissier que la greffière ramena dans le sein de l’alcôve - elle lui tendit la feuille sur laquelle il y avait marqué le nom de Marcel :

- MARCEL MARCELMARCEL appela l’huissier n’en croyant pas ses oreilles - il avait réussi à le dire - il avait redouté cet instant terrible - il avait souffert derrière la porte entrouverte mais ce n’était rien à côté de ce qu’il avait sué quand il avait lu le nom complet de Marcel - et il jetait des regards éplorés vers la greffière qui confirmait d’un hochement de tête - c’était bien Marcel Marcelmarcel - trois fois Marcel - ni une ni deux - deux longues quatre brèves - c’était le morse qu’il fallait avaler - et pourquoi - il avait bien vu le nègre en burnous dans le public sagement assis sur les chaises en plastique orange - un nègre c’est rare par ici - d’habitude, on les voit à la télé - et il ne s’appelle pas Marcel (deux longues) Marcelmarcel (quatre brèves) - et bien oui ! fils de cul ! indigène ! héritier à la triste figure ! cul béni entre tous les culs de l’Aure !

- MARCEL MARCELMARCEL C’EST MOI, répondit Marcel Marcelmarcel du fond de la salle - il se décolla prudemment du plastique orange et l’armature métallique se détendit avec un léger grincement - C’EST MOI, confirma-t-il.

Pauvre juge ! - Il avait pris des centaines de chaises sur la tête mais enfin : c’était les chaises des enfants du pays - des chaises locales quoi - sur lesquelles tout le monde s’asseyait - elles tombaient parce que ça amusait les gosses - ils avaient peut-être même le droit de les faire tomber - et puis personne ici ne s’appelait - - . . . .

- C’EST MOI dit encore Marcel en arrivant devant la table de formica jaune vomi derrière laquelle le juge et le commissaire se faisaient du pied.

- QU’EST-CE QUE VOUS ME VOULEZ ? dit encore Marcel.

- VOUS NE SAVEZ PAS LIRE ? dit le commissaire dans son aisselle.

- HEIN ? dit Marcel.

- ON NE DIT PAS HEIN ? dit le juge.

- DANS CE PAYS DE LIBERTÉ, ON DIT CE QU’ON VEUT SI C’EST PERMIS, dit Marcel, péremptoire - 

Il connaissait l’Aure sur le bout des doigts - le bougre ! - 

Je tortillais un peu mon cul dans l’humidité du fond orange de la chaise - le public avait souri.

- C’EST EXACT, dit le juge - ET C’EST BIEN DIT.

Marcel gonfla sa superbe poitrine dont la peau cuivrée vibrait dans l’échancrure du burnous - une belle échancrure toute bordée d’arabesques brodées avec de l’or et beaucoup de goût - et ça descendait entre ses seins musculeux et ça vous lui atteignait le ventre et ça ne descendait pas plus bas tant pis !-

- VOUS SAVEZ CE QU’ON VOUS REPROCHE ? dit le juge

- JE NE VOUS REPROCHE RIEN, MOI !

Le juge avait encore des traces de chaises aux encoignures de la bouche et des narines, mais il avait décidé d’être gentil avec le nègre - le commissaire s’abandonnait à ses manchettes - on discute pas avec les noirs pensait-il.

- CE N’EST PAS LA QUESTION, dit le juge. VOUS AVEZ ÉTÉ VERBALISÉ POUR UN STATIONNEMENT INTERDIT. VOUS N’AVEZ PAS ACCEPTÉ LES FAITS ET VOUS VOUS ÊTES ADRESSÉ À MOI ET JE SUIS LÀ POUR VOUS ÉCOUTER. C’EST ÇA, LA JUSTICE, VOUS COMPRENEZ ?

Cette fois, le juge n’avait plus l’air d’un juge - on aurait dit un de ces petits instituteurs camés du fin fond de la bouse qui passent leur temps à mordiller les verrues qui leur poussent dans la paume de la main - ce qui est signe de déséquilibre mental, affirment-ils.

- LA JUSTICE, JE CONNAIS, dit Marcel dans un français parfait. JE SUIS CITOYEN DES ÉTATS-UNIS, ALORS...

Oh la claque ! - Oh ! le coup de pied - Oh ! la belle bite en forme de coup de poing - Le juge sembla péter, serrant les fesses pour que ça ne s’entende pas.

- AMÉRICAIN ? gloussa le commissaire incrédule. AVEC UN NOM PAREIL ? VOUS VOUS FOUTEZ DE NOUS.

- SI VOUS VOULEZ VOIR MES PAPIERS...

- ON N’EN A PAS BESOIN ! dit le juge en menaçant son stylo de l’aplatir une nouvelle fois sur la table - 

Mais sa main resta en l’air - étrangement suspendue - plate, rigide, froide, amère, dérisoire - il avait fini de péter - maintenant il s’inquiétait à cause de l’odeur - on voyait bien qu’il souhaitait une chute de chaises en série - ça occuperait l’esprit ailleurs - on sentirait mais on y penserait pas - on penserait à écouter le bruit des chaises - le juge avait de l’expérience en matière de perception - il n’avait pas fait de bruit - si les chaises faisaient du bruit, personne ne ferait la relation avec l’odeur qui n’expliquerait alors plus rien - s’il avait fait du bruit en pétant, on aurait tendu l’oreille, tentant de localiser la source - et puis l’odeur aurait indiqué la nature du bruit - tandis qu’elle n’indiquait pas celle des chaises.

Marcel Marcelmarcel était un chouette Américain - noir et africain, et en plus il parlait un français impeccable - le juge l’assaisonna, lentement, diluant les mots dans ses claquements de langue et dans le bruit étrange que faisait son corps chaque fois qu’il l’ajustait dans le creux de la chaise - le visage de Marcel ne pouvait pas changer de couleur - c’est sa forme qui se modifiait d’abord de manière uniforme, s’étirant sans doute dans sa quadrature qui n’expliquait rien de ses origines - puis ce sont les détails qui se sont mis à changer - le blanc de l’oeil peu à peu repoussant les paupières - la lèvre inférieure recouvrant la supérieure - et palpitant au rythme que lui imposait son coeur meurtri - les narines se rejoignant de chaque côté du nez - et le front descendant, pesant de tout son poids sur les sourcils en bataille - le front sceptique, surpris, ravageur, prêt à tout, le front fidèle de Marcel qui ne mâche jamais ses mots - 

- JE SUIS COUPABLE, QUOI ! dit-il soudain.

Il se contenait et j’essayais de deviner son coeur dans l’échancrure en forme de sexe de femme - en forme de mon sexe.

- VOUS AVEZ CONTREVENU À LA LOI, dit le commissaire qui lui n’arrivait pas à deviner à quoi diable pouvait bien ressembler cette provocante échancrure.

Un moment il regarda la djellaba noir ivoire du juge et il considéra l’hermine d’un oeil arrêté au bord de la bonne réponse - quel con !

- ET ALORS ! dit soudain Marcel.

- COMMENT ÇA, ET ALORS ? dit le juge en écho.

- VOUS ME CONDAMNEZ À QUOI ?

- IL VOUS FAUDRA PAYER L’AMENDE, C’EST TOUT.

- AH C’EST TOUT !

- BON ALORS LÀ ! ÇA SUFFIT, HEIN !

Le juge avait laissé échapper ce soupir poussif de sa poitrine d’héritier et Marcel ne put s’empêcher de se boucher le nez - le juge devint tout rouge - son papillon l’étranglait traîtreusement - il le tritura un peu de la main gauche - écrasa le stylo qui n’en pouvait plus et se mit à pisser - on avait envie de rire - on se secouait les genoux sans les entrechoquer - mais ce n’était pas le moment - Marcel .... était en train de chercher la merde à un crocodile qui en savait plus que lui en matière de procédure.

- MAINTENANT VOUS VOUS TAISEZ, dit le juge sèchement.

- ME TAIRE ! fit Marcel en haussant les épaules, ce qui gonfla ses fesses dans une arabesque qui me fit bander -

- VOUS TAIRE OUI ! ajouta le commissaire entre ses manchettes.

- MOI JE NE ME TAIS PAS ! affirma soudain Marcel.

- TAISEZ-VOUS !

- JE NE ME TAIRAI PAS.

- ET QU’EST-CE QUE VOUS DIREZ ! lança la greffière qui sentit soudain le poids des regards qui l’interrogeaient - 

Qu’est-ce qu’elle avait voulu dire, cette mal baisée ? - le juge la foudroya d’un regard - elle perdait des points - l’huissier montra ses dents en signe de non-engagement - il avait d’autres chats à fouetter - et puis le coup de la poignée de porte, on le lui avait déjà fait, non ?

- OUI, dit le juge, QU’AVEZ-VOUS À DIRE ?

Ah ! on comprenait mieux - la greffière lui avait piqué sa réplique - il reformulait, ce croco !

- QU’EST-CE QUE J’AI À DIRE ! HEIN ? QU’EST-CE QUE J’AI À DIRE ?

- OUI, QU’EST-CE QUE VOUS AVEZ À DIRE ? menaça le juge qui savait que sa probité était protégée par l’état et qui regrettait que ce ne fût pas le cas de ses dents

- VOUS ALLEZ ME FRAPPER ? lança-t-il en se levant - 

La foule recula.

Il allait se passer quelque chose de terrible - comme le jour - on me l’a raconté - comme le jour où ce petit juge s’est avisé de demander à un vieux paysan qui comparaissait devant lui de jeter le chewing-gum qu’il avait dans la bouche - il s’en était suivi une discussion digne des annales du Conseil Général et le vieux avait fini par coller le chewing-gum sur une des feuilles de papier où le juge dessinait des cochonneries - Vous m’avez dit de l’enlever de la bouche, avait dit le vieux, mais vous ne m’avez pas dit où je devais le mettre. Là, sur votre bureau, ça va ? Et le vieux était parti sous les applaudissements muets de deux avocats qui attendaient leur tour, assis sur la même chaise près de la fenêtre - 

- EST-CE QUE JE PEUX VOUS RETOURNER LA QUESTION ?

Le juge ne s’attendait pas à ça - pas de la part d’un nègre - pas de la part d’un Américain - il voulait être frappé et il ne le serait pas !

- ON VOUS DEMANDE QUELQUE CHOSE ? dit le commissaire.

- OH ! VOUS, TAISEZ-VOUS ! fit le juge agacé

- COMMENT...

- TAISEZ-VOUS ! QUE TOUT LE MONDE SE TAISE !

Et tout le monde se tut - même Marcel - il comprit qu’il n’avait plus rien à faire dans ce foutoir à justice - il s’éloigna :

- JE PEUX VOUS POSER UNE QUESTION, MONSIEUR LE PRÉSIDENT ?

Le juge regretta soudain de ne pas pouvoir obliger les gens à le frapper - 

- SI CE N’EST PAS UNE QUESTION INDISCRÈTE, dit-il en souriant.

- EST-CE QUE VOTRE PÈRE ÉTAIT JUGE ?

- OUI, QUELLE QUESTION !

- ALORS PENDANT QUE MON PÈRE, EN 40, S’EN EST ALLÉ SE FAIRE CREVER LE VENTRE PAR LES BOCHES, LE TIEN TRAHISSAIT LA FRANCE EN PRÊTANT SERMENT À LA PUTE PÉTAIN. ET EN 45, PENDANT QUE MON PÈRE PERDAIT UN PIED À BERLIN, TON PÈRE S’EST PARJURÉ POUR REVENIR SANS FRAIS À DE MEILLEURS SENTIMENTS. CELA, TU NE PEUX PAS LE NIER. C’EST LA SEULE VÉRITÉ. ET CETTE SALOPERIE DE MAGISTRATURE FRANÇAISE N’A PAS ENCORE DEMANDÉ PARDON AUX MORTS QU’ELLE A TRAHIS.

Bon - Marcel avait su faire bref - aussitôt terminé, il avait ouvert la porte, était sorti, avait fermé la porte - et le juge était resté assis tête baissée, semblant absorbé par la réparation du stylo qui lui souillait les doigts - pendant ce temps, le commissaire éperdu fouillait sous la table à la recherche d’un téléphone pour faire venir la force publique

- IL LE FAUT ! MONSIEUR LE PRÉSIDENT ! IL LE FAUT ! LAISSEZ-MOI FAIRE !

Mais le juge lui avait pris amoureusement le coude dans sa petite main de fils de chien et peut-être même de pute - et le commissaire s’était apaisé - tout le monde s’était apaisé - on se sentait lourd, visqueux, rouge, gras, troué, vide - l’Histoire venait de nous frapper en plein visage - ce qu’on avait la mémoire courte, tout de même ! - et si on oubliait, hein ? semblait-on se dire tous ensemble, juge et commissaire compris - la greffière cherchait ses mots - l’huissier avait d’autres chats à fouetter - il les cherchait du regard - ça l’occupait - ça l’occupait vraiment.

 

*

 

Moi j’étais bien décidée à garder mes mains dans les poches - c’était des poches trouées et je me gratouillais les poils à la frontière du plaisir - qu’est-ce qu’on peut se gratouiller dans l’attente d’être jugée - alors le juge parut absorbé par le document où on devait m’accuser de tous les mots - les mots ? -

- MAIS ENFIN, dit-il, vous bénéficiez de l’aide judiciaire - c’est Écrit là ? - 

Et il le montrait au commissaire hébété qui secouait la tête en relisant sans cesse ce qui était écrit à propos du bénéfice de l’aide judiciaire - 

- Et oÙ est votre avocat ? fait le juge avec une petite voix doucettement interrogative.

- Qu’est-ce que j’en sais, moi, où il est, mon avocat !

- Mais enfin... vous en avez discuté avec lui !

- Pas un mot. Sais même pas qui c’est.

- Il vous a convoquée dans son bureau.

- Pas que je sache. Ou alors j’étais beurrée.

- Et les conclusions ? dit le juge. Vous n’avez pas conclu. C’était à votre avocat de le faire. Voyons...

Et il regarde du côté des avocats qui se mettent à se dénoncer - exactement comme le faisaient leurs salauds de pères quand les boches fusillaient des communistes sur les routes de Varilhes

- C’est lui m’sieur !

- Non c’est lui !

- Mais non c’est elle ! s’écria le juge - eh bien, maître Suaire ? Et votre cliente ? Vous l’avez oubliée ? Non ?

Maître Suaire se met à secouer de la paperasse dans la serviette de cuir que lui a offert son amant - celui qui s’est débrouillé pour qu’elle obtienne cette charge d’avocat - une vieille sacoche en cuir retourné, lisse à l’intérieur, peluchée à l’extérieur - avec des traces de doigts et des taches d’encre - une très vieille sacoche que son père a victorieusement subtilisée au cadavre d’un SS couché sur le bord de la route avec deux trous rouges sur le côté - 

- C’est ça, mon avocat ?

Je n’ai pas parlé au juge - je me suis parlé à moi-même - j’aurais pu poser cette question au juge et il y aurait sûrement répondu - enfin faut croire - et v’là que cette connasse se ramène à la barre ou au bar je ne sais plus - j’ai tellement envie de picoler à ce moment-là que je suis prête à tout - à décapsuler cette carafe de juge et à boire tout son contenu - ou à sucer la bite molle du commissaire pour le dégonfler - elle se ramène avec sa djellaba qui lui colle aux cuisses - et les trois avocats qui sont assis sur la même chaise se bidonnent comme des gamins

- C’est encore une erreur du bureau de l’A.J. dit maître Suaire en s’arrêtant au bord de la table où elle pose violemment sa sacoche.

- Vous êtes qui ? me lance-t-elle avec son petit air de fille à papa.

- Demandez-le au juge ! que j’lui réponds aussi sec.

- On dit : monsieur le président ! souffle la greffière.

- On dit ce qu’on peut quand on est mal défendue - 

et je lui lance ça avec toute la méchanceté dont je suis capable - j’ai envie de lui demander si elle se piquouse - mais ce n’est pas le genre de chose qu’on demande à une greffière - elle avale ses deux témestas avant de se coucher, c’est tout - et ça la rend toute chose - elle ne peut pas s’empêcher de dormir - c’est pas une perte, allez !

- Vous estimez être mal défendue ? jubile soudain le petit juge - 

Tout à l’heure, il a pété, j’en suis sûre - maintenant il bande sous son burnous - il a l’air tout excité, le Pinocchio !

- Je ne suis pas défendue, c’est beaucoup plus grave.

- Ne m’insultez pas ! s’indigne maître Suaire.

- Personne ne vous insulte, dit le juge. Vous n’êtes pas prête, c’est tout.

- Jolie façon de dire qu’elle n’a pas fait son travail.

- Ne m’insultez pas ! Ne m’insultez pas !

- Vous récusez votre avocat ? dit le juge.

- Si ça coûte pas trop cher, ouais.

- Vous pouvez vous retirer, maître Suaire.

Elle me fusille du regard - la pisse lui mouille le clitoris et elle a un peu de merde au bord des lèvres - elle ne dit rien - elle ne peut pas sortir - on voit bien qui sont ses clients dans la salle - ce sont ceux qui s’étirent le cou pour regarder en direction du juge - est-ce qu’il va leur demander s’ils récusent leur avocate ? - pourvu qu’il le leur demande, ouais - 

- Nous allons vous désigner un autre avocat, dit le juge.

- S’il y en a un bon.

- Ils sont tous bons, dit le juge.-

- Tous moins un.

- C’est une erreur du bureau de l’A.J., explique encore maître Suaire qui commence à puer, ce qui gêne ses collègues qui préfèrent toujours l’usage d’un bon déodorant à cette orgie de vérités physiologiques

- ... du bureau de l’A.J., susurre-t-elle encore.

- Bon ben OK d’accord, que je dis au juge qui se met à écrire plein de choses dans la marge du document où il est question de moi et de mes conneries - 

Il remue l’index et l’huissier rapplique après avoir chassé ses chats - quatre brèves s’il vous plaît si vous lisez à voix haute chassez ses chats !

L’huissier n’a pas eu grand-chose à faire - il a pris le document sur le bureau du juge et il a parcouru deux mètres cinquante jusqu’à la table de la greffière - la greffière lui a dit merci - l’huissier ne lui a pas répondu - il savait très bien que le remerciement s’adressait au juge : Merci, connard ! Merci de me donner encore un peu plus de travail - merci de compter sur moi - et cette conne de Suaire qui s’en tire avec l’odeur d’un pied qui s’impatiente - et qui c’est celle-là - une poivrote - quelle justice ! des poivrots, des nègres, des insultes, des jugements sans application - on se moque de la vérité - ce qui compte, c’est que le travail augmente de jour en jour - on fait tout pour pas se retrouver au chômage, nous, gens de justice comme on disait avant !

Je sors du tribunal, enfin - de la mairie - avec l’impression d’avoir été faire un tour dans un autre monde - exactement la même sensation après avoir mis les pieds dans un hôpital psychiatrique, un H.P. - ici c’était un T.I. - la justice est malade et les juges sont de mauvais médecins - en fait, ils ne sont pas médecins du tout - ce sont des bons à rien, si on se place du point de vue médical - ils sont tout si c’est le point de vue social qui compte - ce sont des flics - ils ont des âmes de traîtres et non pas des esprits de malades - je ne refoutrai plus les pieds dans un tribunal - enfin sauf si on m’y oblige - enfin tout ça, faut pas le dire - faut juste le penser.

 

Commencer par le début ? - Le début de quoi ? - Le début de la fin ou bien avant que ça n’arrive ? - C’était la première fois que je foutais les pieds dans un tribunal - c’est un début comme un autre - et si je continuais à partir de là - je sors du tribunal - bon enfin : de la mairie où ils ont installé le tribunal en attendant que le château soit réparé en forme de tribunal et non plus en forme de ruine cathare comme certains le voulaient - c’est bientôt Noël et il fait beau - enfin je veux dire qu’il y a une bonne lumière fraîche et claire pour éclairer les choses et les autres - il fait à peine froid - je m’enfonce dans mon écharpe de soie qui sent le vomi - je traverse la place du marché entre le pied de la mairie et le lit du Salat qui fait la bite sous un pont - j’ai envie d’aller boire un coup - un p’tit cognac, une gnôle quelconque entre l’acide sulfurique et l’essence super - un p’tit parfum d’chez moi - sous la pluie de cette lointaine Normandie que je vais me mettre à oublier - sûr qu’on pense à moi là-bas - à ma tronche ravagée par les raclées, par les giclées, par la vinasse et par le désespoir - j’ai un con magnifique et une bouche dégueulasse - des seins comme deux bites et des yeux caves de bonne soeur sur le retour - des cuisses longues et douces et des joues creuses, molles, rugueuses, noires et jaunes, de chaque côté d’un nez dont n’aurait pas voulu même le dernier des Bourbons - et un ventre plat et lisse, un nombril à sucer, un cul à mouler pour l’éternité - et un menton en galoche où s’éternise un vilain bouton qui fait penser à un cancer - parl’pas des oreilles, ni des cheveux aux mèches vagabondes qui sèment leurs saloperies sur mes épaules de starlette - et je parle pas non plus de la sensation d’incroyable éternité qu’ils ont tous quand je me sers de mes muscles vaginaux ! - 

Un corps de déesse, pas un bouton, pas une ride, pas un bourrelet, pas un pore élargi jusqu’à l’obscénité, un corps à donner et à reprendre autant de fois que le cycle biologique du sommeil et de l’éveil le permet - et au-dessus de tout ça, merde, merde, et remerde, la tronche de ma mère vue de face, celle de mon père vue de profil, un incroyable arrangement d’amour filial qui veut se partager en deux parts égales - une bonne fille de la cambrouse avec un bonnet blanc si on la regarde de profil et un chapeau de paille vu de face - et je ne peinturlure rien - je donne tout au vent - je détourne l’attention en dénudant un peu - le mollet, le genou, le nombril, les épaules, les bras - 

Oh ! mes bras souplement longs et ces mains avec lesquelles j’ai appris à tout faire sauf à camoufler ce qui mérite de l’être - pas facile de communiquer dans ces conditions - on déposerait bien un mouchoir sur ma gueule pour pouvoir se frotter sur mon corps sans arrière-pensée et parfaitement branché au plaisir qui est toujours d’abord le mien - parce que je prends tout - je ne laisse rien - j’arrache le coeur et la raison - il faut fermer les yeux pour y croire - j’enfonce mes deux bites dans le ventre mou de la société - et tant pis pour ma gueule ravagée par l’héritage génétique et par l’abus des plaisirs qui tournent à la catastrophe

- Il est où le début ?

- Tu me demandes de te raconter mon histoire - quelque chose comme : une petite fille rose et blanche avec son papa médecin et sa maman héritière entre autres d’un troupeau de deux cents vaches - une adolescente longue qu’on ne peut pas regarder toute entière et qui en souffre - la toute jeune adulte qui épouse illico un plombier contre l’avis de ses parents - la découverte brutale de la douleur - un enfant chié par le trou de devant et nourri par le cul - le petit mari qui commence à souffrir - le petit mari qui voit la vie lui échapper - et la première guérison, bien assumée, conduite jusqu’au bout avec une tranquillité qui me fait encore chier aujourd’hui - et l’achat de la 4L avec son matelas déroulable - le voyage dans le sud - la fugue musicale vers une vie qui se fout de la gueule des gens - l’impression profonde que ça n’a plus d’importance cette séparation esthétique - la gueule ravagée d’abord par les premiers coups - puis la première cigarette - et puis le premier verre - encore des coups - des piquouzes sous le menton, derrière l’oreille, dans le fond de l’oeil - et des verres, des verres, des verres dans cette bouche qui ne veut pas ressembler à un sexe - putain ! toutes les femmes du monde jouent avec leur bouche comme avec un sexe - elles tirent toutes la langue pour montrer ce qu’elles savent faire - moi quand j’ouvre la bouche, c’est pour la remplir - et puis merde, c’est pas la bouche que je remplis - je ne suis pas une esthète - je compte simplement sur le bon fonctionnement de mon intestin grêle, là où le sang vient chercher ce que le corps réclame, et au milieu du corps cette chose qui est mon cerveau, qui n’est plus mon cerveau, qui ne sera jamais plus mon cerveau parce que j’ai été trop loin - et puis un jour toute cette merveilleuse mécanique se détraque - le sang ne joue plus son rôle - le cerveau devient exigeant - il n’échange plus rien avec l’esprit - et l’esprit est condamné à l’imagination - l’esprit est condamné aux mots - voilà tout ce qui reste quand l’ivresse n’est plus possible physiquement - quand c’est la chiasse et les vomissures qui prennent la place de la littérature - 

Alors entre deux beuveries, je me suis mise à avoir du talent et j’ai cherché à l’éditer - et le plombier voyait bien que c’était une tuyauterie d’un autre genre - et il s’est mis à pleurer entre toutes les raclées qui lui servaient d’exutoire - et pas une seconde, pas une seconde-lumière je n’ai pensé à cet impossible enfant que je devais pourtant à l’amour - merde quoi ! c’est ça que tu veux que je te raconte ? - c’est ça que tu veux éditer - j’écarterai les cuisses au lieu de sourire sur l’écran comme font tous les écrivains qui jouent au produit commercial - personne ne songera à s’en offusquer - j’ai le plus beau con du monde - la vérité ! - tu veux voir ?

 

Et le con à qui je raconte tout ça évite de me regarder - il mesure mes fragiles épaules dans ses mains musculeuses et sa bouche s’applique en suçon sur mes deux bites - et il frotte son excroissance sexuelle qui n’est pas une infirmité contre la cuisse qui redescend et l’autre qui l’aide à remonter et peut-être enfin il faut l’espérer qu’on va finir par se rencontrer et s’ajuster l’un dans l’autre comme ça se fait depuis si longtemps déjà - si longtemps maintenant - mais il est comme tous les autres - il a peur de ma gueule - comme si je pouvais le blesser de cette manière - et il a beau faire l’amour avec mon corps, ce n’est pas avec moi qu’il le fait - personne ne l’a jamais fait avec moi - et moi qui l’ai fait avec tout le monde - ou presque - t’aurais envie que je m’arrête de parler qu’il faudrait que tu me le dises, hein ?

Il ne répond pas - c’est pas un homme qui peut répondre à ce genre de question - j’aurais dû choisir les femmes - mais les femmes n’ont pas de bite - enfin elles sont rares celles qui ont une bite - moi je joue à avoir deux bites - c’est mon éditeur (avec qui je couche de temps en temps) qui m’a révélé la nature phallique de mes seins - et il me les a remontrés dans le miroir et on a vu tous les deux à quel point ils pouvaient ressembler à deux bites - mais ce n’est qu’un jeu - deux bites c’est un jeu - ça ne change rien à ma nature de femme - d’autant que les types qui s’assoient dessus n’ont pas l’impression d’être pédés - et cent balles pour tout ce cinéma - je dois être conne jusqu’au bout des doigts.

 

Le type suivant est un malade de la bite - pas de l’érection - de la bite ! - la malédiction de Priape est sur lui - quand il bande, il essaie de penser à autre chose et quand son ver solitaire consent à se ramollir, il n’arrive plus à penser à autre chose - c’est un dingue - et comme il a de la chance de ne pas avoir eu à faire beaucoup d’efforts pour avoir sa place dans la société ! - sinon qu’est-ce qu’il serait devenu - donc, quand il fait tout pour ne pas y penser, j’arrive - et je lui parle d’autre chose - il ne me regarde pas - il n’a pas envie que ma gueule prenne de la place dans sa mémoire - ce souvenir pourrait finir par ponctuer les deux grands intervalles de sa vie biologique dont les cellules sont presque toutes sexuelles - pas toutes, mais presque - il est là couché sur le dos et sa bite est bandée jusqu’à la douleur rouge et ciselée qu’il étire comme une main dans un arrachement qui est sa fatalité - et il ne supporte aucune caresse, pas de coups de langue, pas de doigt vibreur, et surtout pas la caline humidité de mon entrecuisse - je ne savais pas quoi faire pour le faire débander - sans toucher c’est difficile - mais il n’y a rien qui veuille sortir - ce n’est pas le problème - il n’a pas un problème d’homme - c’est son problème à lui - et ce n’est pas un problème d’homme - il serre les dents et il essaie de sourire chaque fois qu’il les desserre - ce n’est pas moi qui provoque tout ça - ni mon corps de déesse ni ma gueule défoncée - et il sait bien que je ne peux rien expliquer - il a simplement besoin de le dire, de le montrer pour qu’on le croit - ce n’est pas un exhibitionniste - c’est un pauvre type qui bande pour des raisons non sexuelles - et qui n’arrive pas à se faire à l’idée que c’est justement quand il débande qu’il commence à exister sexuellement - alors moi j’écoute - il dit à chaque fois à peu près les mêmes choses - il ne veut pas comprendre et qu’est-ce que ça changerait s’il comprenait - je l’aime bien - il y a un chouette parallélisme entre sa bite inconséquente et ma gueule aux deux visages - enfin c’est ce que je veux croire - j’ai besoin d’un ami - c’en est un - il ne me touche pas parce que ça ne le fait pas rêver au point de lâcher tout - je ne touche pas à son obélisque de douleur et d’opaques raisons de vivre - il faut constater et essayer de penser à autre chose - je me couche toute nue le long de son corps tendu - je vois la bite vibrante comme une ombre au rythme du coeur recherchant la tension extrême - je peux jouer avec ses poils sur sa poitrine - une de mes bites lui caresse l’humérus à travers sa chair tétanisée - j’étire l’autre au dessus de nous - j’essaie d’oublier que je suis en train de ne pas faire l’amour avec un homme dont la bite est magnifique - douloureuse et impossible elle est magnifique et inaccessible - comme un poing sorti du ventre, un poing en forme de mot qui n’a pas été inventé, sorti du ventre pour exister en tant que mot unique et prêt à l’existence dans toutes les langues - je suis encore en train d’écrire - je me masque pour l’écriture - je peux atteindre le point le plus haut de l’expression - cent balles !

 

Ça fait deux cents - pas assez pour vivre - parce que bien sûr il est parti - et comme il adorait le gosse et que j’en avais à peu près rien à foutre - me voilà seule avec mes billets de cent que j’ai un mal fou à rassembler en billets de mille - le troisième billet je le prends dans la poche d’un pauvre type qui voudrait être un obsédé sexuel - il veut tout voir - et il regarde tout - sauf ma gueule bien sûr - il n’aime pas ma gueule - en cela il n’est pas différent des autres - mais je peux toucher - je DOIS toucher - avec les mains, les pieds, les genoux, avec mes bites qui s’excitent follement, avec la langue si je n’en fais pas trop - je peux faire des trous dans sa peau, je peux creuser des rides dans son cou, je peux enfoncer tout ce que je veux dans son cul et dans sa bouche - il veut que je prenne du plaisir avec lui - mais moi ce qui me ferait plaisir, c’est une belle bite, ambitieuse et quotidienne, une bite en forme de réponse - pas une bite question qui cherche toujours la validité des réponses - une bite simple qui aime ça et qui remercie - et je ne trouve pas - je m’emmerde dans une forêt de bites à problèmes - de la bite qui ne veut pas bander à celle qui bande pour des raisons étrangères à la sexualité -

 

Trois cents ! - maintenant je rêvasse doucement étendue nue sur le dos entre un pauvre mec qui masturbe sa bite molle et une bourgeoise rondouillarde qui joue avec un fouet - je viens de lui foutre une trempe à lui faire saigner le cul - elle a eu mal jusqu’aux tripes - c’est sa manière de prouver jusqu’où elle peut aller pour montrer tout l’amour qui lui empoisonne le coeur - et son pingouin n’a pas été foutu de bander - maintenant il essaie une éjaculation sans érection - on attend que ça arrive - la boullette gémit parce que ça lui fait encore très mal - je prends sa main dans la mienne - je joue à la copine qui compatit - le mec n’est plus avec nous - il ferme les yeux et il entend le fouet qui fouaille sur le cul de la femme qu’il aime - il écarquille les yeux dans son rêve - qu’est-ce que je fous à poil martyrisant ce grand cul dans lequel je pourrais rentrer toute entière - le fouet fait saigner - il fait pleurer - il provoque des plaintes qui donnent envie d’arrêter - mais il n’y a rien à faire - je travaille pour deux cents balles - c’est donné vu la dépense physique et l’amertume dans la bouche pour avoir fait souffrir une petite femme toute ronde et lisse avec trois poils sur le con et des seins en forme de boules à mâcher - elle sanglote sur le rythme que la main de son pignouf impose au lit et je ne peux rien empêcher de cette musique - et il se remet à bander - il bande une bite énorme - c’est la métamorphose d’un vermicelle au blé tendre en manche de pioche qu’on va se prendre sur la gueule - il ouvre les yeux et en même temps je suis debout sur le lit ayant arraché le fouet aux mains boulottes de la petite bourgeoise qui écarte les cuisses autant qu’elle peut - et je frappe - je frappe trop fort - elle me regarde d’un air terrifié - elle a franchi le seuil de la douleur - c’est la peur qui l’étrangle maintenant - la peur de la mutilation - mais ce n’est pas assez - il faut qu’elle crève - il faut qu’elle crève à cause de ce con trop petit et de cette bite trop grosse - de cette longue bite que ce connard ne songe même pas à me fourrer entre les cuisses - moi qui saurais la manger - moi qui m’en nourrirais jusqu’à m’en faire péter le ventre - jusqu’à l’intoxication après quoi le sexe n’est plus qu’une bagatelle - mais au lieu de ça il se met à la frotter contre ma cuisse - dans la sueur de ma cuisse il peint avec son gland obscène - et je frappe sur le ventre - j’appelle le sang et il vient - elle crie mon chéri mon chéri mon chéri et il laisse tout exploser - son bonheur sa prostate sa musculation le gland qui s’allume comme une ampoule - le tout dans mon innocente cuisse que j’ai pourtant écartée - que j’ai écartée violemment quand j’ai senti venir le plaisir - et il n’a rien pris de ce que je lui offrais - il bavait sur le con imberbe de sa grougnasse - et il ne m’est rien arrivée - j’ai pissé sans qu’on s’en rende compte - on m’a félicitée - on m’a trouvée formidable - sans me regarder - elle a embrassé mes deux bites - j’ai frotté un peu mon entre-jambe sur sa cuisse - et puis rien - rien que deux cents balles ça fait cinq cents pas assez pour vivre pas assez pour jouir de la vie jusqu’à s’en faire péter le nombril - pour ça il faut bouffer et pour bouffer j’ai la bonne adresse - je ne jouis pas mais qu’est-ce que je bouffe !

 

C’est un type curieusement bâti - un tronc imposant et des membres courts et maigres - une tête sans cou avec beaucoup d’oreilles et de nez - et une bite qui pendouille éternellement, entre l’érection parfaite et le coup de froid - il la frotte partout il y met de l’essence il la frappe avec un fouet miniature - elle se gonfle un peu mais sans se lever et il me demande si j’ai faim - alors on bouffe - on s’installe tout nu de chaque côté du guéridon richement foutrement bien dressé - nappe ronde en dentelle assiettes en porcelaine blanche mouchetée de bleu et de rose couverts en argent rayés de chrome petite lampe électrique en forme de bougie - serviettes jetables du meilleur goût tranches de pain amoureusement aillées amuse-gueules d’olives et de fromage avec un accompagnement de piments obscènes et de pistaches piquantes - des soucoupes de sauces verte rouge bleue noire blanche - amères sucrées violentes parfumées délirantes hallucinogènes - et il court dans la cuisine et revient avec une cocotte fumante qu’il dépose avec style au milieu de la table - je trempe mes doigts dans la sauce je brûle de gourmandise - je vais bientôt jouer le rôle de l’assiette - il se servira du creux de mes cuisses et de mon ventre comme d’une assiette - je rirai comme une folle - j’aurai envie de pisser et il me pétera sur le nez - mes bras sont la fourchette et le couteau - je ne dois pas écarter les cuisses - enfin pas tout de suite - je les écarterai au dessert - je serai une assiette pleine de crème anglaise et d’îles flottantes et je les ouvrirai d’un coup je serai la surprise attendue - l’assiette qui se casse - qui se fend en deux comme une femme qui accepte de faire l’amour - et alors ce bouffeur impénitent ce goinfre insatiable ce gouffre de voluptés intestinales sortira de sa bouche cette langue fantastique qui lui bouffe la bite - la nature s’est trompée à son sujet - elle a mis une langue entre ses cuisses et une magnifique bite à la place de sa langue - une langue qui entre en érection - une langue qui lui sort de la bouche comme la pointe d’un pal - il en a mal aux dents - il ne peut plus parler - c’est plus fort que lui - elle s’étire et se dresse et d’un coup plonge au fond de mon sexe au goût de crème anglaise et de blancs d’oeufs battus - et elle gonfle encore - je l’entoure de mes muscles je la griffe avec toutes les aspérités de mon sexe fait pour l’amour - et je jouis je jouis jusqu’à la gueule - je découvre mes dents gâtées, ma langue violette de poivrote je me gratte la gorge avec le peu d’air qui me manque - je crache je pisse je chie je me tortille j’ai mal j’ai bien je ne sais pas je ne sais plus je suis sur mon balai au dessus de la ville - 

 

- Merde quelle jouisseuse ! fait-il en ravalant sa langue sexuelle - 

La bave-sperme lui dégouline sur le menton - ses lèvres-cuisses s’endorment doucement - et je ne lui dis pas que j’ai fait semblant - que je n’ai pas cru à sa langue sexuelle - que j’ai regretté d’avoir trop mangé - que je vais avoir la chiasse - je l’ai déjà - il dort dedans, le sexe à demi bandé, la langue au coin de la bouche, les paupières serrées comme les cuisses d’une vierge - il se gratte le ventre d’un ongle distrait - je me masturbe en vitesse.

 

 

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